L’encordage et la descente des tonneaux à Fontaine-lès-Dijon

Des crochets, 10 impasse Jehly Bachellier et un anneau 10 rue Saint-Bernard (Clichés Photo-Club de Fontaine-lès-Dijon). L’encordage des tonneaux. (Schéma de Bruno Lautrey).

À Fontaine, toutes les maisons vigneronnes du village sont bâties sur une cave dont l’ouverture est dimensionnée en largeur afin à de faire rouler un tonneau ou pièce de 228 litres. Dans la pierre de seuil de l’escalier conduisant à la cave, se trouvent souvent deux crochets ou un anneau scellés au plomb servant à fixer la corde ou les cordes pour descendre et remonter des tonneaux.

Quand il n’était pas descendu à bras le corps, la descente d’un tonneau vide exigeait en principe deux hommes. Deux planches pouvant être reliées par des tasseaux afin d’assurer la sécurité étaient posées sur la longueur de l’escalier. Une corde (C) formant boucle était attachée aux crochets. Elle passait sous le tonneau de manière à l’enlacer. En haut de l’escalier, le vigneron (A) tenait la corde au niveau de la boucle et avançait doucement en lâchant du lest pour faire rouler le tonneau. À l’arrière, du côté du bas de l’escalier, un aide (B) dirigeait le fût. Il reculait avec le tonneau et le soutenait pour le conduire le long des marches jusqu’à ce qu’il parvienne au bas de l’escalier. Le procédé était identique pour la montée des fûts.

Pour une pièce pleine, la descente se faisait avec trois hommes à l’aide de deux cordes. Le tonneau  contenait alors du vin blanc vinifié et soutiré dans la cuverie. Le vin rouge n’était pas concerné car il était directement acheminé dans la cave par une pompe. Quand il n’y avait pas d’anneaux ou de crochets pour amarrer les cordes, une barre était mise en travers de la porte de la cave et les anneaux des cordes  passés dans la barre. Comme pour les tonneaux vides, un homme précédait la pièce. Les deux autres se calaient sur les montants de la porte pour laisser filer le tonneau en tenant chacun une corde passée sous le tonneau. Les trois hommes devaient faire un effort synchronisé pour franchir chaque marche car celui qui guidait la pièce dans l’escalier ne pouvait pas la retenir…

À Fontaine, de nombreux escaliers de cave donnent sur la rue et les entrées débordent souvent sur le trottoir. Aujourd’hui, le règlement de l’AVAP de Fontaine-lès-Dijon (Aire de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine) interdit de condamner les entrées de cave dans le village. Les crochets et anneaux qui subsistent sont considérés comme des éléments annexes du patrimoine à protéger.

Jean-Pierre BOUCHARD, Bruno LAUTREY et Sigrid PAVÈSE

La pressée en 1888

Paul DEFRANC, La pressée, 18 octobre 1888. (Collection Geneviève Gauthier)

Ce cliché d’amateur qui montre une pressée à Fontaine, le 18 octobre 1888, est un tirage sur papier signé Paul Defranc. Paul Defranc, né à Dijon en 1851 et mort à Fontaine en 1902, était un célibataire, qui habitait, avec ses parents, la demeure appelée « la Charmille », 2 rue de la Source. Paul Defranc descendait d’une lignée d’avoués à la cour d’appel de Dijon. Son grand-père, Claude, avait acheté le domaine et à sa mort en 1854, il l’avait transmis à Charles Defranc, le père de Paul. Ce domaine était composé à l’origine de la maison où la famille passait l’été et de quelques parcelles de vigne en plants fins. Le joyau étant le clos séparé de la maison par la rue Collin-Barbier qu’il bordait à l’ouest. L’étendue des vignes avait gagné en superficie au cours des années et Paul Defranc s’en occupait avec un vigneron : Jean Falconnet. Il avait obtenu plusieurs récompenses pour ses vins rouges et blancs lors de concours à Paris dont une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1900 dans la catégorie des vins ordinaires.

La photo met en scène cinq hommes en longs tabliers et casquettes, place de Siry, devant la maison du 20 rue des Templiers. À gauche, un homme tourne la roue d’un pressoir horizontal monté sur roues. Il presse les raisins qui sont enfermés dans une cage carrée en bois. Le jus se déverse sur une « maie » qui est un bac situé dans la partie basse du pressoir. Il s’écoule par une « goulotte » dans un demi-muid, le muid étant synonyme de tonneau. Le jus est ensuite transvasé dans une «tine». La tine est un demi-tonneau dont deux douelles plus longues que les autres, placées en opposition, sont percées pour former des anses ou oreilles, dans lesquelles est passé un bâton appelé « tineau ». L’ensemble repose sur les épaules de deux hommes qui avancent l’un derrière l’autre pour transporter le jus jusqu’au fût où il sera transvasé. Juché sur le pressoir, un homme tient un marteau à la main. Deux manches de « grappine » pour égaliser la vendange dépassent de la cage en bois. Près du chasse-roue, à l’angle gauche de la maison, deux « benatons » ou paniers à vendange sont posés sur une brouette. Ils sont accompagnés d’un petit baquet en bois appelé sapine.

Sigrid Pavèse avec la collaboration de Bruno Lautrey, Jean-Christophe Lornet, Jean-Louis Nageotte, Élisabeth Réveillon.
Site : www.lesamisduvieuxfontaine.org (Publication juin 2019)

La cabane du chemin des Vaux

Les vestiges de la cabane du chemin des Vaux (Cliché S. Pavèse, novembre 2018)

Lorsque les fondations d’une cabane, repérée sur le cadastre de 1851, ont été mises au jour, en novembre 2018, lors de la réfection du mur nord de l’enclos des Feuillants, nous avons interrogé Madeleine Festeau-Sicardet pour savoir si elle avait gardé le souvenir de cet édicule. Voici son témoignage.

« Mes souvenirs sont ceux d’une enfant de moins de 8 ans, naïve, insouciante et peu observatrice. J’ai appris le mot « cabotte » quand les vignerons et les médias ont mis l’accent sur les climats. Je ne connaissais pas d’autres cabanes ou cabottes à Fontaine. Dans la famille on parlait de celle-ci comme de « la cabane des Duperat » : on ne mettait pas de « monsieur » car les hommes entre eux, et les femmes aussi, allaient au plus court. Cet homme de Daix, célibataire, vivait avec sa sœur, de même situation[1]. J’admirais le verger[2] bien entretenu[3] par eux.
La cabane était à droite en entrant dans le verger, à quelques pas du chemin des Vaux. Elle était très rustique. L’eau de pluie coulait du toit. Elle était montée en laves et couverte de même. Le sol était en terre battue. Deux bancs pour s’asseoir, aussi en laves[4], garnissaient les murs de chaque côté. La cabane n’avait pas de porte mais l’ouverture était relativement large. Dans le fond, on apercevait un morceau de ciel car une pierre avait été enlevée ou était tombée. La cabane n’était pas très haute. Il me semble qu’une personne de grande taille aurait eu du mal à s’y tenir debout.
Je n’ai pas connu de cheminée. Cette petite attraction était sans doute ancienne. Le mur du fond, pas très haut[5], semblait avoir été élevé sur le mur d’enceinte du champ cultivé le long du chemin qui rejoignait, en haut, le Bois des Pères[6].
Ouverte côté nord, elle appartenait à tout le monde. À part un abri de mauvais temps, elle ne servait pratiquement à rien. Personne n’y entreposait quoi que ce soit mais on y mettait pour quelques heures la boisson et nos casse-croûte.
J’y passais du temps avec une petite cousine. C’était un endroit magique. La maison toute faite, comme un chalet, nous appartenait, à nous deux, pour jouer avec nos enfants imaginaires… Nos parents, au travail dans leur vigne, savaient où nous étions… De l’autre côté du chemin, en effet, était la grande vigne entretenue par mes parents qui a été arrachée vers 1968.
En passant un jour, après bien longtemps, je n’ai plus vu ni cabane, ni verger. C’était comme un trou. Elle manquait cette cabane… »

[1] André Duperat, né à Daix en 1909 était divorcé. Sa sœur, Berthe, cultivatrice, née en 1898, était célibataire.
[2] Aujourd’hui, le verger de Fontaine.
[3] André Duperat était arboriculteur.
[4] Pierres plates calcaires provenant en général de l’épierrement des sols.
[5] Indication possible d’un toit à une seule pente.
[6] Dans le parc Saint-Bernard.

Les vignes des Feuillants sous la Révolution

Au moment de la Révolution, les Feuillants[1] avaient une des plus importantes surfaces en vigne de Fontaine. En dehors de leur enclos, ils étaient à la tête, aux champs d’Aloux, d’une superficie de 2 journaux et six quartiers, ce qui en faisait le plus grand clos de Fontaine. Aux vignes de ce clos, s’ajoutaient un quartier aux Bois, 5 quartiers aux Crais Barbey, 3 quartiers aux Combottes et 3 autres aux Créots[2] soit, en tout, près d’1,5 hectares[3].  Après avoir constaté, au début du mois de juin 1790, que ces vignes, nationalisées le 2 novembre 1789, étaient complètement négligées et ainsi se détérioraient et perdaient de leur valeur, le maire de Fontaine, Bénigne Arlin, invite les religieux à les faire cultiver sans retard[4]. Les Feuillants répondent qu’ils refusent de continuer la culture de leurs vignes car ils n’ont pas pu les louer à un vigneron. Ils ont bien tenté de commencer à faire cultiver par eux-mêmes mais ils ont arrêté faute de ne pas récupérer l’argent avancé[5]. De plus, n’ayant rien reçu des pensions fixées par l’Assemblée nationale, ils n’ont déjà pas d’argent pour payer leur subsistance donc encore moins des ouvriers. Ils font donc abandon desdites vignes, non sans rappeler que la Nation s’en est emparée alors qu’elles avaient été acquises, en grande partie, grâce au fruit de leur épargne… Le district indique alors à la municipalité de les donner à bail. Mais qui voudrait louer des vignes dans un tel état à quelques semaines des vendanges s’interrogent les édiles de Fontaine ? Ces vignes n’ont pas été fossoyées, c’est-à-dire que rien n’a été prévu pour en replanter une partie, les empêchant ainsi de pouvoir se renouveler. De plus, les paisseaux (échalas) font défaut, et les coups de labour ou meille, du nom de la sorte de pioche utilisée, n’ont pas été effectués. D’après les estimations des experts municipaux, le préjudice s’élève à 186 livres[6]. Selon eux, la seule solution est de faire bêcher et enlever les mauvaises herbes au frais du trésorier du district, qui se remboursera de cette avance, avec l’argent provenant de la mise aux enchères des raisins sur pied, huit jours avant les vendanges[7]. Les archives n’ont pas conservé la trace de ces vendanges et, quelques mois plus tard, le 2 mars 1791[8], les vignes sont acquises aux enchères par un homme de lois dijonnais, Charles Alexandre Enguerrand. (Sigrid Pavèse)

[1] Archives départementales de la Côte-d’Or (ADCO) Q 838 7juillet 1790. Procès-verbal de l’état des vignes des Feuillants.
[2] À Fontaine : 1 journal = 34,28 ares et 1 quartier : 8,56 ares.
[3] ADCO Q 177 : Le directoire du district compte 6 journaux (2 hectares) pour les 6 parcelles, ce qui correspond à la déclaration des biens fournie par les Feuillants au bureau diocésain en 1786 (ADCO, G9). Le Directoire les estime à 1 625 livres 5 sols le 29 janvier 1791.
[4] ADCO), Q 838 : Extraits du registre de la municipalité de Fontaine-lès-Dijon, 2 juillet 1790, 3 juillet 1790.
[5] Ibid. Mémoire de ce qui est dû aux Feuillants par les administrateurs du district. : 180 L pour façon de vigne.
[6] Ibid. 7 juillet 1790.
[7]Ibid. 1er août 1790.
[8] ADCO Q 149 : Charles Enguerrand achète les 6 journaux de vigne appartenant aux Feuillants.

 

 

 

 

 

Le sort des appellations d’origine à Fontaine-lès-Dijon

Source : Ministère de l’agriculture, service du cadastre viticole, Recensement général du vignoble, 1961.

Au milieu du XXe siècle, la viticulture à Fontaine était encore suffisamment importante pour qu’en 1951, la commune de Fontaine soit retenue comme pouvant être étudiée au sujet d’une ou plusieurs de ces appellations : « Bourgogne », « Bourgogne ordinaire ou grand ordinaire », « Bourgogne-passe-tout-grains », « Bourgogne aligoté », sous réserve que les usages locaux et les conditions auxquelles devront répondre les vins viennent confirmer ce choix[1].

Le maire, Léonce Lamberton, est donc invité par le secrétaire de la commission des appellations, à rechercher dans les anciens registres de déclarations de récoltes, les climats ou lieudits, le numéro des parcelles, la superficie et les quantités de vin déclarées sous chacune de ces appellations, depuis la promulgation de la loi de 1919.

Le maire répond à cette demande, en indiquant, qu’avant 1939, quelques appellations « Bourgogne Grand Ordinaire » ont été prises, de façon épisodique, par un petit nombre de producteurs.

De fait, à la Belle Époque, de « grands ordinaires » fontainois ont remporté des prix à des concours, organisés notamment à Paris[2] et, en 1924, le conseil municipal accepte de participer aux frais de procès devant le tribunal civil de Dijon relatif à l’appellation d’origine Bourgogne à donner aux vins récoltés dans la commune[3].

Le maire ajoute que pendant la guerre de 1939-1945, pour éviter, dans la mesure du possible, les réquisitions, il a été de nouveau, mais de façon modérée, fait usage de l’appellation « Bourgogne grand ordinaire » mais, après la guerre, les appellations n’ont plus été demandées.

L’appellation « grand ordinaire » revendiquée, un temps, par de rares viticulteurs ou propriétaires, n’a donc pas eu le caractère de constance prévu par la loi qui aurait permis une homologation en 1951, la culture de la vigne,  à Fontaine, paraissant de moins ne moins avantageuse aux propriétaires de la terre.

 

[1] Archives municipales de Fontaine-lès-Dijon, F2 39, Courriers du 23 janvier 1951, 15 mars 1951.
[2] Bulletin du syndicat viticole de la Côte dijonnaise, mars 1896, mai 1899, septembre 1900, 1905.
[3] Archives départementales de la Côte-d’Or : OS 286 (1923-1924).

« La Vigne de Fontaine », une ancienne vigne d’hybride établie pour une consommation personnelle

La vigne de Fontaine située aux Champs Rémy n’est pas le reliquat du vignoble qui a

Cépage de la Vigne de Fontaine en 2000 : hybride producteur direct greffé 5455 (Cliché Sigrid Pavèse)

existé à Fontaine et qui a disparu après l’arrivée du phylloxéra, de l’oïdium et du mildiou.

À Fontaine, beaucoup d’anciens viticulteurs s’étaient résignés à ne plus tirer profit de leur  vigne. Ils avaient planté des arbres fruitiers et des petits fruits rouges. Mais, viticulteurs dans l’âme, ils considéraient comme une déchéance d’acheter du vin pour leur propre consommation.

Une nouvelle viticulture s’établit alors à partir de cépages hybrides créés à la fin du XIXème siècle et résistant aux maladies qui avaient anéanti le vignoble traditionnel. La culture de ces nouvelles parcelles de vigne était simplifiée et compatible avec la polyculture qui avait pris la place de l’ancien vignoble. Ces vignes n’avaient pas d’autre objet que d’assurer la consommation familiale.

Ces vignes d’hybrides ont presque partout disparu. Il en reste une petite à Fontaine et il serait dommage de la replanter en Pinot sous prétexte que le vin de Pinot est bien meilleur que le vin d’hybride.

 

Ce texte, daté de décembre 1996, est dû à Pierre DUPUY, ingénieur agronome, directeur honoraire de recherche à l’INRA de Dijon, ancien président de l’Académie d’agriculture de France élu en 1995, qui nous a quittés en 2017.

Sigrid PAVÈSE.