L’occupation allemande en 1942 à Fontaine-lès-Dijon

Fontaine-lès-Dijon, occupation allemande en 1942. (Photographie, 6 cm x 6 cm, collection Bruno Lautrey)

Cette photo a été prise en 1942 devant l’église Saint-Bernard de Fontaine-lès-Dijon, probablement à l’automne[1].

Dans un cadre naturel plus sauvage qu’aujourd’hui, un groupe de trois jeunes soldats de la Wehrmacht consulte un ouvrage sur la place des Feuillants. Non armés, sans doute de sortie, ces soldats portent un calot, une vareuse militaire avec quatre poches boutonnées serrée à la taille par un ceinturon, un pantalon avec pattes de serrage au niveau des chevilles, des brodequins et des gants noirs. Le niveau de qualité de la photo et le noir et blanc ne permettent pas de discerner l’arme d’appartenance de ces militaires, leur branche et leur grade.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux soldats de la Wehrmacht possédaient des appareils photos. Ils n’avaient pas le droit de photographier les installations militaires et les zones de combats, aussi leurs photos décrivent-elles souvent une vie loin des horreurs de la guerre. Ce sont des clichés souvenirs, comme sur cette photo, où les soldats donnent le sentiment que leur séjour en France s’apparente à un voyage touristique.

En 1942, la France est occupée depuis deux ans. Le pays vit au rythme des privations et d’une situation économique qui se détériore. Le climat devient de plus en plus répressif et l’hostilité des Français grandit envers l’occupant. Par ailleurs, beaucoup de soldats allemands vivent dans la hantise d’un départ en Russie où leurs camarades meurent par milliers.

Depuis l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, les raids aériens de jour et de nuit s’intensifient en France. Les effectifs des Allemands augmentent, et, en 1942, 600 000 Allemands sont présents sur le territoire français. La Wehrmacht commence à recruter de plus en plus de jeunes gens. En avril 1942, sont appelés tous ceux nés en 1923 et en octobre, ceux nés en 1924[2].

À Fontaine, dans le climat délétère qui plane sur l’hexagone et obscurcit leur horizon, ces jeunes Allemands, qui n’ont connu que le nazisme, vivent sans doute un moment de répit avant la tourmente.

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[1] Cette photo fait partie d’une série de trois : les deux autres prises à Dijon représentent, pour l’une, probablement le soldat de droite dans un parc qui pourrait être celui de la Colombière, avec comme mention au dos : « Dijon à l’automne 1942 » et, pour l’autre, une péniche sur le canal près de Dijon.
[2] LUNEAU (Aurélie), GUEROUT (Jeanne), MARTENS (Stefan), Comme un Allemand en France, Lettres inédites sous l’occupation, Paris, L’iconoclaste, 2016. 300 p.

Le Suzon en 1962

Vue vers l’aval depuis le carrefour du boulevard Gallieni, sur Dijon, à gauche, avec le chemin Saint-Martin, à droite, sur Fontaine-lès-Dijon. Cliché Roger GAUCHAT. Bibliothèque municipale de Dijon. Est. 2101.

Le tronçon du Suzon que l’on aperçoit en 1962 est aujourd’hui couvert. Cette couverture était prévue avant la Seconde Guerre mondiale et les peupliers qui bordent les rives sont coupés dès 1942, mais le conflit modifie les priorités et la réalisation du chantier est repoussée à 1963[1].

Dans cette partie, le lit du Suzon n’est pas naturel. Le tracé originel longeait à peu près celui de la rue de Jouvence aménagée en 1884, dont on aperçoit le débouché à droite. Cette dérivation, datée  de 1524, avait été établie pour prévenir les inondations. Là, le Suzon reçoit les eaux ruisselées des secteurs aujourd’hui urbanisés de Dijon, Talant et Fontaine-lès-Dijon via les réseaux d’eaux pluviales, les avaloirs de rues et les débordements du réseau unitaire. Sa rive droite sert de voie publique. De la route d’Ahuy à la place du Général Estienne, c’est l’ancien chemin d’Ahuy, dénommé rue du Général Fauconnet en 1883.

Sur cette portion, le Suzon est enjambé par quatre passerelles en bois appelées planches ou planchottes dont une est visible sur le cliché et par un pont en pierre établi avec les matériaux de démolition du château de Dijon[2] pour remplacer, en 1895, le pont de bois situé en face de l’actuelle rue de la Houblonnière.

Après 1871, de nouvelles populations sont attirées par l’expansion économique de Dijon. Poussés par l’exode rural ou chassés de l’Alsace-Lorraine, des habitants misérables s’installent entre la rive droite du Suzon et la rue de Jouvence, dans des quartiers lotis par des Fontainois comme Étienne Gérard, qui crée une rue connue sous le nom de rue de la Révolte puis rue de Nouméa, devenue en 1928, la rue Léouzon-Le-Duc. Son cousin, Bernard Gérard, ouvre en 1885 la rue des Mûriers. De pauvres gens y vivent dans les baraques du bidonville appelé Nouméa et les masures de la cité des Kroumirs. Les anciens de Fontaine se souviennent avec effroi et compassion de ces quartiers malfamés avec leurs bistrots pour les soldats des casernes voisines et de la salle de danse de la rue des Mûriers, abritée dans un hangar en planches de 1881 à 1955[3].

[1] ICOVIL, Dijon et son agglomération, tome 1 p. 51 et 469-470.
[2] BAZIN (Jean-François), Le Tout Dijon, Dijon, Cléa, p. 475.
[3] Ibid., p. 658

Le premier souvenir de la Guerre de 1914-1918 de Jeanne Lelièvre

Le premier souvenir de la Guerre de 1914-1918 de Jeanne Lelièvre1

« J’avais dix ans, et j’ai vu arriver aux Carrois un régiment qu’on appelait les tringlots. Ils conduisaient des chariots tirés par de beaux chevaux, réquisitionnés la veille sans doute. Il faisait très chaud en ce début du mois d’août et les bêtes avaient soif. Il était facile de les mener au puits mais elles étaient en sueur et l’eau glacée a été mortelle pour trois d’entre eux. J’en ai vu tomber un beau gris pommelé au milieu de la rue. J’ai pensé à son propriétaire qu’il avait peut-être quitté la veille. On les a conduits à la carrière des Portefeuilles où ils ont été enfouis dans la chaux : c’est mon premier souvenir de la guerre de 14. »

C’est ainsi que dans un manuscrit2 Jeanne Lelièvre raconte les premiers jours de la Grande Guerre. Les tringlots désignent les soldats de base de l’arme du train. Au début du conflit, la force de traction reste encore majoritairement celles des animaux de traits, surtout pour la logistique. En période de paix, les armées entretiennent un nombre réduits de chevaux. Avec la guerre, il faut réquisitionner. La petite fille pense aux propriétaires des chevaux car l’ordre de mobilisation du 2 août 1914 parvient au moment des moissons et, dans un village où la majorité des habitants vit encore de la terre, la réquisition des chevaux désorganise le travail et le transport, d’autant qu’il y a moins de bras, puisque les hommes valides partent. L’enfant, qui appartient à une famille de vignerons, est émue car elle connait l’attachement sincère des propriétaires à leurs animaux.
À Fontaine, en août 1914, ce sont les harnachements qui ont été réquisitionnés pour le service de l’artillerie, pas les chevaux. 31 harnachements comprenant harnais, objet de sellerie et ferrure ont ainsi été récupérés par l’armée française. Dès la mobilisation, le 3 août 1914, les cultivateurs furent tenus de fournir le fourrage (foin, paille, avoine) destiné à l’alimentation des bêtes. Ils le firent à hauteur de 11,5 tonnes si bien qu’au mois de décembre, il n’y avait même plus de paille pour le couchage des hommes en cantonnement à Fontaine. Il fallut en acheter. Quant aux chevaux, ils ont été réquisitionnés avec une voiture et parfois un conducteur à la journée ou à la demi-journée, d’octobre à novembre 1914, pour une batterie d’artillerie3.
Au cours du conflit, si le cheval disparaît rapidement des champs de bataille avec le progrès des engins motorisés, son emploi, dans la logistique, reste significatif car il est irremplaçable sur les terrains boueux ou accidentés pour transporter le ravitaillement, les munitions et tirer les pièces d’artillerie. Le cheval sert aussi à tracter les ambulances.
Pendant la Première Guerre mondiale, les conditions de vie pour les chevaux ont été difficiles sur le front où ils ont été décimés par l’artillerie, les gaz, les maladies et la faim. Le souvenir de Jeanne Lelièvre rappelle aussi que le cheval est un animal naturellement vulnérable. Les trois chevaux sont morts de coliques d’eau, causées par l’absorption trop rapide d’eau froide, alors qu’il faisait très chaud et qu’ils venaient de fournir un effort. En France, les chevaux ont ainsi payé un lourd tribut au cours des quatre années de guerre : plus de 750 000 bêtes ont perdu la vie pendant le conflit.

Le mécanisme d’horloge conservé dans le clocher de l’église Saint-Bernard

Église Saint-Bernard de Fontaine-lès-Dijon. L’ancien mécanisme de l’horloge photographié dans le clocher en 2002. Archives municipales de Fontaine-lès-Dijon, photographies, octobre 2002.

À Fontaine, jusqu’à son électrification en 1965 par les établissements Bernard Dor[1], la sonnerie des heures, demie et quarts au clocher de l’église Saint-Bernard a été actionnée par un mécanisme d’horloge produit industriellement, dans les ateliers Louis-Delphin Odobey dit Cadet (1827-1906)[2], situés à Morez, dans le Jura, et spécialisés dans les horloges d’édifice[3].

Les horloges Odobey étaient fabriquées en série, à raison d’une cinquantaine par an, à la veille de la Grande Guerre, ce qui rendait leur prix relativement accessible. Celle de Fontaine fut acquise en 1902 pour la somme de 1800 F grâce au legs effectué à la commune  par Bernard Lebert car l’horloge communale achetée lors de la vente du mobilier des Feuillants en 1793,[4] était en si mauvais état, qu’elle nécessitait des réparations continuelles[5].

Le mécanisme complexe qui a donné l’heure à Fontaine pendant plus d’un demi-siècle jusqu’en 1965 se cache encore aujourd’hui dans le clocher. Il commandait la sonnerie des cinq cloches du carillon. Protégé dans son armoire d’origine, c’est un modèle classique horizontal avec châssis, tambours où s’enroulent les câbles, arbres, roues dentées en cuivre, petit cadran de contrôle en émail pour la remise à l’heure, corde, poids et contrepoids, balancier dans le bas de l’armoire fermée par deux portes en bois. Le remontage de l’horloge était effectué par un préposé dont le traitement annuel était fixé en conseil municipal[6].

Cette horloge authentique, dûment inventoriée[7], est un patrimoine technique remarquable, demeuré dans son contexte, mais difficile à mettre en valeur car le clocher n’est pas aisément accessible.

 

[1] Archives municipales de Fontaine-lès-Dijon : M2 14, Délibération du 27 mars 1965.
[2] Denis Roegel, maître de conférences, Université de Lorraine, Courriels au maire de Fontaine-lès-Dijon, 2018.
[3] https://www.horloge-edifice.fr/Horlogers/Odobey_Louis-Delphin.htm
[4] Archives départementales de la Côte-d’Or. Q 838, 26 février 1793 : estimation de l’horloge des Feuillants. 21 mars 1793 : horloge adjugé à l’encan au citoyen Gérard, maire de Fontaine pour 75 livres.
[5] Archives municipales de Fontaine-lès-Dijon. Registre de délibération D4, séance du 10 mars 1902.
[6] Archives départementales de la Côte-d’Or. OS 286. 16 février 1930.
[7] Service régional de l’inventaire, Fontaine-lès-Dijon, Église paroissiale Saint-Bernard, Liste supplémentaire.  Ph. Inv. J.L. Duthu, 96 21 0295 X.

Un socle armorié offert par la famille Gruet au XVe-XVIe siècle

Le document permet de connaître la destination primitive d’un socle en pierre, qui servait à soutenir un buste de saint Bernard sculpté au XVIIIe siècle, lorsqu’il a été photographié, en 1972, dans la Maison natale de Saint Bernard par Michel Laignelet.

Cet élément sculpté, aujourd’hui introuvable, était à l’origine le support du tabernacle de l’autel de la Vierge situé dans le bras sud du transept de l’église Saint-Bernard de Fontaine-lès-Dijon. Offert par la famille Gruet, il reposait sur un autel de pierre du XVe siècle, auquel le curé Jules Richard, avait substitué, en 1888, un autel en bois néogothique, disparu depuis, qui avait été fabriqué à la colonie de Cîteaux[1].

Sur sa face antérieure, le socle porte un écusson armorié en relief. À la pointe de l’écu, une grappe de raisin est surmontée d’une serpe à talon disposée horizontalement. Il s’agit du « gouet » ou « gouy » qui a donné en diminutif « gouzotte ». Cet instrument servait et sert encore à faucher au ras du sol les « accrus », c’est-à-dire les racines d’arbre à la limite des cultures et des vignes[2]. Ces deux meubles sont la signature professionnelle d’une famille de vignerons. Au centre, entre les deux initiales, les conservateurs du musée du vin à Beaune ont identifié une potence, avec son tripode, qui pourrait être un engin de levage. Cette grue constituerait des armes parlantes de la famille Gruet dont on connaît un autre « calembour héraldique[3] »: « d’azur à la grue d’argent, membrée, becquée de gueules à la vigilance d’argent sur champ d’azur ». Ces armoiries figurent dans l’angle gauche d’un tableau[4] donné par la même famille au XVIIe siècle. Placé dans un retable au-dessus du même autel, il masquait alors la peinture murale du XVIe siècle représentant la Trinité que l’on voit aujourd’hui. Les initiales en caractères gothiques permettent de dater le socle de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. À droite, l’initiale G confirme que le donateur est bien un Gruet, sans que nous sachions avec certitude qui se cache, à gauche, derrière la lettre T à laquelle il manque la partie supérieure.

Élisabeth RÉVEILLON et Sigrid PAVÈSE.

[1] Mémoires de la Commission des Antiquités du département de la Côte-d’Or, tome XII (1888-1895), séance du 15 septembre 1888.
[2] « Le coupeur d’accrus », La Bonne nouvelle, bulletin de la paroisse de Gevrey-Chambertin, n° 304, mai 1980.
[3] CHABEUF, Henri, Mémoires de la CACO, tome XIII (1895-1900) p. CLXIII.
[4] Armoiries d’Anthoine Gruet dans  La remise du Rosaire à sainte Catherine de Sienne et saint Dominique, attribué à Philippe Quantin, huile sur toile, H : 189 cm x l : 152,2 cm, en dépôt au Musée d’art sacré de Dijon, Inv. D 966.6.2.1 et 2.

La maison natale de saint Bernard en 1863

Laurence de BLANZY, « La maison de saint Bernard à Fontaine-lès-Dijon, (16 septembre 1863) », album de 38 dessins et lavis, Chenôve, Fixin, Couchey, Dijon, 12 x 19 cm, 1862-1868. Bibliothèque municipale de Dijon, Etudes, fonds patrimoine, Est. 1047.

En 1863, la maison natale de saint Bernard était la propriété du chanoine Renault qui l’avait rachetée en 1840. Le monastère des Feuillants, vendu comme bien national pendant la Révolution, avait été acheté par des entrepreneurs pour tirer parti des matériaux et l’église des moines  avait été partiellement démolie. Il ne restait que les deux chapelles qui servaient de communs et sur lesquelles  un toit fut mis en 1821 pour les protéger des intempéries. À gauche de celles-ci, de l’ancienne tour de guet qui abritait le sanctuaire établi au XVIIIe siècle et des logements à l’étage, on voit les arrachements correspondant à la partie située au-dessus des dômes des chapelles.
Au rez-de-chaussée, on reconnaît l’entrée de chacune des deux chapelles donnant sur un vestibule et, à l’entresol, en retrait, les deux petites fenêtres des tribunes.
La tour d’entrée qui avance sur la place, la maison du vigneron qui lui est accolée et ses dépendances, sont telles que les avaient laissées les Feuillants car elles étaient habitées. A droite, le bâtiment bas, transformé en bûcher, est ce qui reste de la tour du clocher de l’église du monastère. Le chanoine Renault n’avait que de modiques ressources. Il ne put qu’exécuter les travaux les plus urgents pour arrêter la dégradation du monument. Ce n’est qu’en 1880 que l’aspect du bâtiment sera modifié pour prendre l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui.

(Élisabeth RÉVEILLON et Sigrid PAVÈSE, mars 2018).