Fontaine-lès-Dijon dans la tibériade de 1717

Tibériade, vue générale et extrait désignant l’emplacement des villages, métairies, chemins, rivières d’Ouche et de Suzon dépendant de la banlieue de Dijon, 1717 © Archives municipales de Dijon.

Pour les 10 ans de l’inscription des climats au patrimoine mondial de l’UNESCO, les archives municipales de Dijon ont exposé en salle de lecture des plans qui témoignent de la présence ancienne de la vigne à Dijon et aux alentours, notamment la Grande Tibériade du XVIe siècle au format spectaculaire. Si Fontaine est absente de cette dernière carte, qui représente la vallée de l’Ouche, en revanche le territoire de la commune apparaît dans une tibériade plus tardive datant de 1717[1]. Ce plan non coloré, collé sur toile, monté sur corniches en bois en haut et en bas, mesure environ 1,44 m de large sur 1,34 m de hauteur.

En Bourgogne, à partir de la seconde moitié du XVe siècle, les tibériades sont des cartes dressées pour représenter la situation de lieux de contentieux. La tibériade de 1717, qui comporte une échelle en perches, chaque perche ayant 19 pieds (6,13 m), a été commanditée par la Ville de Dijon, l’abbaye Saint-Étienne et l’abbaye Saint-Bénigne, pour établir, à frais communs, les confins de la banlieue de Dijon et représenter ainsi les droits respectifs de chaque partie. Sur un tel plan, il ne faut pas chercher une restitution exacte de l’espace. Seuls les lieux litigieux, c’est-à-dire les franges de la banlieue sont représentées. Comme le territoire de Fontaine est entièrement compris dans la banlieue de Dijon mais que ni Talant, ni Daix n’en relèvent, les frontières de la banlieue sont celles du finage de Fontaine avec ceux de Talant et Daix. En revanche, la séparation entre le finage de Fontaine et celui d’Ahuy avec ses décrochements caractéristiques, n’apparaît pas, car seul le tracé de la banlieue est marqué et dessine à cet endroit une ligne droite de la croix de la Fin de Fontaine, située à l’entrée de la ruelle au Beau qui fait partie d’Ahuy, à la croix de la Maladière sur le chemin de Messigny (aujourd’hui de Dijon) à Ahuy. La banlieue mord donc sur une petite partie d’Ahuy d’où d’incessants conflits de juridiction avec l’abbaye de Saint-Étienne dont Ahuy relevait. C’est pourquoi à Ahuy, de nouvelles bornes sont posées, ce qui n’est pas le cas entre Fontaine, Daix et Talant.

Comme ces cartes ont pour origine des conflits de limites, elles résultent d’enquêtes minutieuses réalisées sur le terrain. C’est ainsi que le territoire de la banlieue est arpenté et borné, en vertu de la délibération de la Chambre de Ville du 21 août 1715[2], par André Gambu père, tandis que la carte est dessinée par Bernard Gambu fils, arpenteur-juré du roi en la maîtrise particulière des Eaux et Forêts[3]. Il a fallu 18 jours au père entre 1715 et 1717 pour reconnaître le tracé et 10 au fils pour dresser la carte. Le paiement de ce travail est acquitté entièrement par le receveur de la Ville en 1723[4]. Pour reconnaître le finage de la banlieue de Dijon, l’arpenteur est accompagné par Chenevet, échevin de la Ville de Dijon, et par deux experts désignés par les abbés de Saint-Étienne et de Saint-Bénigne et agréés par la Ville, les nommés Jeoffroy, vigneron demeurant rue Roulotte à Dijon et Debonnaire, manouvrier au faubourg Saint-Nicolas.

Dans ce document, même si le village de Fontaine est grossièrement symbolisé, on devine une modeste bourgade dont les maisons sont groupées au pied de la colline dominée par l’église et le monastère des Feuillants. Le dessin de ce dernier est sommaire, mais suffisant pour montrer le bâtiment neuf construit par les moines, ainsi que le clocher-tour de leur église surmonté d’un lanternon et d’une croix. La carte fournit également des détails sur les grands vignobles de l’ouest de la commune et précise leur toponymie : Grands-Champs, Combottes, Créots, « Juttriot » en limite de Talant, les Côtes d’Ahuy et les vignes « dittes Les Clos de Baise » en limite de Daix[5]. Cette dernière appellation pourrait désigner une propriété possible de l’abbaye bénédictine de Bèze par le passé. Le reste du paysage est constitué de terres tandis que les Charmes d’Aran, comme leur nom l’indique, sont des friches aux contours nets et biens délimités.

Cette tibériade offre aussi des informations sur les repères spatiaux retenus par les enquêteurs. Pour Fontaine, il s’agit de trois croix. La croix au carrefour des 5 rues (actuellement Arandes, Bourgogne, Grands-Champs, Combottes, Herriot) est accompagnée à proximité d’une borne plantée sur le chemin de Daix à Dijon pour limiter la banlieue avec Talant et d’une autre à l’angle de la rue des Arandes et de la rue Herriot. Celle sur le chemin de Daix est en pierre blanche, haute d’1 pied et ½ (48 cm), épaisse de 6 pouces (12,5 cm). Elle est aux armes de Dijon sur une face et porte la date de 1570, tandis que l’autre face est brute, comme la borne actuellement conservée dans la tour de la Confrérie à Talant[6]. La croix d’Aran, au milieu du carrefour de l’actuel chemin des Charmes d’Aran et de la rue des Peupliers, sert quant à elle de borne à la banlieue de Dijon avec les finages de Talant et de Daix tandis que la croix de la Fin de Fontaine, à l’entrée d’Ahuy, comporte en plus une borne à son pied. Toutes ces croix et bornes inviolables, fruits de siècles de combats et de négociations et qui n’avaient rien de décoratif, ont été effacées alors que ces monuments rendaient perceptibles des délimitations restées dans le dessin actuel de la commune. Quant aux chemins et grands chemins, ce sont ceux d’aujourd’hui sous des appellations parfois différentes comme la D 107 pour le chemin de Daix.

Cette carte est donc une source iconographique importante par les tracés qu’elle fournit, aussi bien que par les informations qu’elle donne sur des éléments de paysage d’un des confins de Fontaine au XVIIIe siècle.

Sigrid Pavèse

 

[1] Archives municipales de Dijon (AMD), 4 Fi 778.
[2] AMD, K4 : Requête adressée au maire et aux échevins par Bernard Gambu pour paiement des journées employées, 3 février 1720. À cette date, André Gambu père étant décédé, Bernard en a les droits.
[3] Bernard Gambu et son père André sont connus pour avoir réalisé l’Atlas de Cîteaux.
[4] AMD, K4 : Paiement de 100 livres le 21 mars 1722 et de 140 livres le 20 novembre 1723.
[5] Tous ces toponyme figure sur le cadastre napoléonien à l’exception des « des Clos de Baise ».
[6] https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00112685 La notice indique 1370, mais il s’agit bien de 1570. Cette borne serait l’une des deux bornes indiquées dans la tibériade et situées à l’angle du boulevard des Clomiers et de la route de Troyes.

L’ancien parc Mugnier , 23 rue Jehly-Bachellier et 1 rue des Créots

Pour le réaménagement de l’ancienne clinique, une note écologique a été réalisée par « Faune, Flore et Environnement » en octobre 2022[1] afin d’identifier les enjeux faunistiques et floristiques du site. Elle concerne les deux espaces arborés au sud-est et au nord-est, protégés par le Site Patrimonial Remarquable (SRI) de Fontaine-lès-Dijon.

Actuellement, le parc arboré est composé de 15 espèces d‘arbres de haute tige. Le boisement est mixte, avec des résineux et des arbres à feuilles caduques. Ce sont de vieux arbres dont certains sont tombés à terre, tandis que d’autres encore debout sont des chandelles dépérissant. Les érables sont attaqués par un champignon, le Rhytisma.

L’intérêt écologique des sujets vieillissants est reconnu et les trous de pics sont nombreux. Les cavités ainsi formées attirent les espèces cavernicoles typiques telles que les mésanges, le rouge-gorge, le rouge-queue et l’étourneau. La canopée fait venir les corneilles et les geais. L’habitat est trop boisé pour le moineau domestique qui est donc absent mais il est potentiellement favorable aux chauves-souris. De plus, les arbres avec ceux de la mare proche et ceux présents dans les quartiers annexes, forment des corridors fonctionnels. Ils permettent de raccorder le parc aux espaces verts hors zone urbaine, ce qui est favorable à un certain nombre d’espèces animales.

La glacière protégée par le Site Patrimonial Remarquable est aussi attractive du fait de la végétation qui s’est développée au-dessus. Les micromammifères (écureuils roux, hérissons d’Europe) et autre petite faune (oiseaux) viennent s’y réfugier, s’y nourrir et s’y reproduire. À l’intérieur, aucun indice de fréquentation faunistique récente ou ancienne, notamment de chauves-souris, n’a été relevé. En la fermant avec une grille adaptée, elle pourrait laisser passer une petite faune. C’est un micro-habitat différent du reste du parc arboré, qui ajoute de la diversité.

Comme il ne se trouve pas de point d’eau dans le parc, il n’y a pas d’amphibiens, d’autant qu’ils ne trouvent pas au sol les conditions adéquates pour hiverner. Les reptiles sont rares, à part le lézard des murailles qui est protégé et l’orvet fragile. On trouve des lucanes cerfs-volants qui sont une espèce de coléoptères protégée liée aux vieux arbres mais l’absence de plantes mellifères, à l’exception d’arbres à papillons qui se sont développés à travers l’enrobé, ne favorise pas la présence de papillons de jour.  Un Écaille chinée qui est un papillon de nuit non protégé a été observé.

Le parc permet donc une biodiversité inattendue au cœur de la ville avec des espèces cavernicoles nicheuses dans les arbres, mais il ne se prête pas à l’accueil d’espèce patrimoniale floristique. Il abrite une diversité avifaunistique typique des boisements. Sa plus-value écologique est indéniable. Il est donc recommandé de le conserver en grande partie en l’état avec un entretien extensif, d’adapter l’éclairage pour déranger à minima la faune et de consolider la fonctionnalité écologique par une végétalisation des espaces non bâtis en front de rue.                                                                                                                                             Sigrid Pavèse

 

[1] https://www.bourgogne-franche-comte.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/note_ecologique_fontaine-les-dijon_rmpromotion_cle181118.pdf

Voir également: « La visite du jardin de madame Mugnier en 1888 », Bulletin des Amis du vieux Fontaine, n°142

Le chantier de la maison du pressoir construite par le chancelier Rolin en 1451 à Fontaine-lès-Dijon

La maison du pressoir construite par le chancelier Nicolas Rolin en 1451 prend la place d’un bâtiment en ruine qu’il faut achever de démolir avant d’évacuer les décombres après avoir trié et récupéré ce qui est utilisable. Même sur de courtes distances, des moyens de transport sont nécessaires car il s’agit de pondéreux. Ce sont des Fontainois[1] qui se chargent des transferts en fournissant des charrettes tractées par un ou deux chevaux, ce qui démontre une certaine aisance de leurs propriétaires. La terre enlevée est conduite dans les vignes du seigneur et les pierres inutiles dans un champ. Les charretiers fontainois vont aussi chercher le sable et la chaux, ainsi que le linteau en pierre d’une des futures portes[2]. Ils sont aidés par des manœuvres pour le tri et le chargement. Ces ouvriers, parfois appelés valets, sont présents à toutes les étapes du chantier. Ils sont anonymes et leur nombre est inconnu. Ils sont payés tantôt par les artisans, tantôt directement par le receveur du chancelier. Ils creusent la roche qu’ils font éclater, gâchent le mortier, portent les outils, les pierres et les laves qu’ils hissent et étendent.

La pierre des moellons est tirée des carrières de Dijon et il faut 260 voitures à deux chevaux au perrier (carrier) pour la transporter à Fontaine. Les 80 pierres de taille blanches nécessaires à l’encadrement des ouvertures proviennent de la carrière d’Asnières pour un montant équivalent à celui des moellons. Quant aux laves de la toiture, dont le coût global est plus élevé que celui des moellons ou de la pierre de taille, elles sont fournies par quatre laviers d’Ahuy. Les 50 faîtières et les deux gouttières sont apportées par un autre marchand.

La maison est à pierre vue, ce qui est la norme pour un pressoir, mais le bois tient une place importante pour la confection des alloirs (échafaudages), la charpente et les ouvertures. Les pièces de bois équarries sont achetées au marché de Saint-Michel et Saint-Nicolas à Dijon. Pour les cinq entraits utilisés, deux sont taillés par des charpentiers de Fontaine-Française et trois autres à Épagny. Les 48 chevrons sont produits par deux charpentiers de Fontenelle. Les lattis proviennent de la charpenterie du cimetière Saint-Michel à Dijon. Les battants des portes sont réalisés à Dijon par un lambrisseur (menuisier) avant d’être conduits à Fontaine par un transporteur.

Sur place, c’est une main d’œuvre qualifiée provenant surtout des villages alentour qui se charge du gros œuvre. Les échafaudages sont réalisés par un Fontainois. Les murs sont montés par trois maçons, dont deux viennent respectivement d’Ahuy et Vantoux. Ces maçons sont payés à la toise effectuée (mesure de surface), les ouvriers à la journée. C’est le charretier fontainois ayant fourni un véhicule de transport qui se charge des ouvertures, qui donnent directement chez lui, et de la cheminée ordinairement placée dans le pignon. La charpente, qui est un des postes de dépense les plus importants du chantier, est assemblée par un Dijonnais. La toiture est réalisée par trois laviers, un de Prenois et deux de Daix. Un forgeron installe le barreaudage des fenêtres. Un serrurier livre les gonds, les serrures et un barreau de fer, un potier, le plomb pour les souder. On ignore combien de temps il a fallu pour réaliser cette maison.

 La maison du pressoir du chancelier Rolin est une œuvre de professionnels. 34 prestataires bien identifiés sont mis à contribution pour ce chantier, mais aucun maître d’œuvre n’apparait. Le chantier fait intervenir de nombreux corps de métier des villages environnants et travailler une main d’œuvre locale qui assemble essentiellement des matériaux dégrossis et achetés ailleurs.  L’organisation du transport pour alimenter le chantier est coûteuse, aussi les matériaux proviennent des endroits les plus proches pour diminuer les frais. Pour le chancelier, l’investissement est important : il absorbe plusieurs années de revenus de la seigneurie.

 

Sigrid Pavèse avec la collaboration d’Antoine Lacaille et d’Élisabeth Réveillon.

[1]Archives départementales de Saône-et-Loire, 2 E 135.1, registres de comptes de 1451 ; Archives diocésaines de Dijon, 8 D 102, Fonds Philbée : Huguenin le Gonot : 18 journées de charrette à deux chevaux, Moingeot Mathélie : 31 journées à deux chevaux et 9 à un cheval ; Villemot le Pinaullet et Moingeot Mathélie apportent au champ un tas de pierres ; Moingeot Mathélie et Hugues Le Gruet transportent la terre.
[2] Cette porte avec un linteau de pierre n’est pas assez large pour être charretière. L’autre porte a probablement un linteau de bois.

Les inondations à Fontaine-lès-Dijon en 1942

Comme dans toute l’Europe, le froid glacial qui envahit Fontaine-lès-Dijon dans les derniers jours de décembre 1941 persiste jusqu’en février 1942, provoquant l’enlisement de l’armée allemande notamment en Russie. Il gèle tous les jours. Le sol est couvert de neige pendant plusieurs semaines à un moment où le rationnement sévit et où les habitants manquent de tout : vêtements, alimentation, charbon. Ce troisième hiver de guerre est donc particulièrement éprouvant et, à ce froid rigoureux, il faut ajouter, à Fontaine, des inondations exceptionnelles en janvier-février, quand la pluie arrive sur un sol profondément gelé, inondant les caves et les rez-de-chaussée des maisons. Ce phénomène assez rare et de courte durée a touché tout le quartier Combottes-Grand-Champs.

En effet, comme son nom l’indique, la rue des Combottes, qui tire son nom du lieu-dit « les Petites Combottes » figurant sur le cadastre napoléonien, se trouve dans une petite vallée qui s’étend sur 5 ou 6 kilomètres de longueur, depuis les environs de Daix jusqu’au cours du Suzon, en contournant par l’ouest et le sud la butte de Fontaine[1]. Cette vallée est creusée dans des terrains calcaires et elle est presque toujours sèche, car les eaux sont rapidement absorbées par les multiples fissures des calcaires. L’écoulement en surface est rare sauf, comme en 1942, quand les cavités souterraines ne peuvent absorber et écouler l’eau des précipitations. En effet, la congélation de l’eau dans les interstices du sol et du sous-sol, liée au froid intense et durable, a rendu le terrain pratiquement imperméable. L’eau provenant des pluies et de la fonte des neiges a alors été retenue en surface. Elle a formé un torrent passant par-dessus la route d’Hauteville, où il a pu être absorbé par des fissures suffisamment importantes pour que la congélation ne les obstrue pas. Les deux photos offrent une vision saisissante du phénomène, qui fit heureusement uniquement des dégâts matériels mais suscita beaucoup d’émoi.

Sigrid Pavèse

 

[1] CHAPUT (Ernest), « Observation sur la solifluction actuelle aux environs de Dijon », Bulletin scientifique de Bourgogne, Tome X – 1941-1944, fasc. 1, p. 3 et 4.

Le jeu de la quille saoûle

Archives diocésaines de Dijon, 2 H 8, Grand séminaire : jeu de la quille saoûle.

Cette photo a été prise en novembre 1919[1]. Le mercredi, les séminaristes de la rue Paul-Cabet à Dijon avaient l’habitude de faire une promenade qui les conduisait souvent sur la butte de Fontaine, où ils pouvaient conjuguer dévotion et délassement. Dans le parc Saint-Bernard, où ils étaient accueillis par les Missionnaires de saint Bernard, un groupe joue à la quille saoûle. C’est un jeu amusant où un individu doit se tenir debout au centre d’un cercle de personnes assises et se laisser tomber en restant droit. Ceux qui sont assis doivent le repousser jusqu’à ce qu’il finisse par tomber sur celui qui n’a pas réussi à le rejeter et doit prendre sa place au centre. C’était une distraction où l’on riait beaucoup et qui était volontiers pratiquée par les jeunes recrues lors de leur service militaire. À l’arrière-plan, d’autres séminaristes se livrent à des activités plus intellectuelles.

Sigrid Pavèse avec l’aide de Bruno Lautrey.

[1] Archives du diocèse de Dijon, (ADD), 2 H 8, Historique de la maison de campagne du grand séminaire à Fontaine-lès-Dijon, cahier manuscrit avec photographies, 1920-1921.

La bibliothèque des Missionnaires de saint Bernard à Fontaine-lès-Dijon

La bibliothèque des missionnaires, état actuel (photo Marie-Jo Leblanc).

S’ouvrant sur un panorama qui s’étend jusqu’aux contreforts du Jura, la bibliothèque des Missionnaires de saint Bernard, située au-dessus des chapelles royales, se présente comme une grande salle de lecture et de travail très lumineuse. Elle est parquetée en chêne et trois des murs sont garnis de meubles en bois permettant de ranger des livres. La partie inférieure des armoires juxtaposées est fermée par des portes pleines à battant. Elle est plus profonde et moins haute que celle des vitrines avec vantaux grillagés et châssis en bois fermant à clé qui la surmontent. À l’usage, des voiles blancs ont dû être tendus sur les grillages pour mettre les ouvrages à l’abri de la poussière et de la lumière. Le mur qui longe le dôme extérieur, entre les fenêtres aux vitraux dus au peintre-verrier parisien Léon Ottin, est habillé par un meuble reprenant la structure des autres travées avec deux casiers ouverts entre les deux corps d’armoire. Les retombées du plafond papiétées comme les murs dans des tons en accord avec les armoires, les soubassements en lambris, les portes d’accès avec châssis en chêne, panneaux en sapin et impostes, les trois poutres porteuses de la charpente badigeonnées en blanc à l’image du plafond, animent harmonieusement l’ensemble. Des étiquettes manuscrites indiquent que la collection de livres était structurée selon un classement thématique : dogme, morale, théologie …

La conception de cette salle apparaît purement fonctionnelle et utilitaire. Cœur de la Maison natale, elle a un accès direct au balcon qui domine l’intérieur de la « basilique ». [i] Étouffante en journée l’été, d’un confort spartiate l’hiver avec sa modeste cheminée remplacée plus tard par un poêle, elle reste riche d’odeurs, imprégnée de cette atmosphère si particulière des lieux où l’on s’instruit, réfléchit et étudie en silence.

Cette « pharmacie de l’âme[1] » a été imaginée pour les Missionnaires de saint Bernard par l’architecte Paul Selmersheim dans le cadre des restaurations de la Maison natale. L’exécution sur mesure du mobilier et du parquet a été confiée en 1883 au menuisier Philippe Guyot. Avec les trois chambres qui communiquent avec la bibliothèque, l’étage prend la place d’un toit qui avait remplacé, en 1821, une salle d’apparat détruite en 1793 pour en récupérer les matériaux. Les moines Feuillants avait fait une pièce unique du troisième niveau du donjon du château médiéval. Ils l’avaient dotée d’un plafond à caissons aux armes du roi Louis XIII quand celui-ci avait fait de leur établissement un monastère royal. Elle fut probablement leur salle capitulaire au XVIIe siècle.

La bibliothèque des missionnaires a d’abord accueilli le fonds du chanoine Renault qui avait le goût des livres et les avait transmis à ses successeurs copropriétaires avec lui de la Maison natale. Elle s’est enrichie d’une bibliographie bourguignonne léguée par un doyen du diocèse. De leur côté, les missionnaires ont collecté, archivé tout ce qui concernait l’histoire de la maison et de saint Bernard. On ne connaît pas de catalogue mais certains ouvrages étaient rares[2]. Malheureusement, des brocanteurs profitèrent en 1909-1910 de la désorganisation de la maison, liée à une succession mouvementée[3], pour faire main basse sur une partie de la bibliothèque bourguignonne et sur les archives. C’est ainsi que fut perdu le registre de la confrérie de saint Bernard du XVe siècle et un calendrier paroissial du début du XVIIe siècle, qui faisaient partie des archives paroissiales. Ces documents se trouvaient dans la Maison natale parce que le curé de Fontaine, qui était obligatoirement un missionnaire depuis 1879 pour éviter les frictions entre la paroisse et la Maison natale, résidait dans la maison natale[4]. Seuls certains documents manuscrits purent être rachetés[5].

À l’arrivée des Rédemptoristes en 1919, ce qui restait de cette bibliothèque de référence fut transféré par le propriétaire au séminaire situé rue Paul-Cabet. On en perd la trace après le déménagement du séminaire boulevard Voltaire en 1921. Cependant des documents comme l’inventaire du monastère des Feuillants par Louis Gellain qui se trouvait dans la Maison natale à la fin du XIXe siècle ont pu entrer aux archives départementales de la Côte-d’Or par le biais de l’évêché[6]. À leur tour, les Rédemptoristes garnirent les rayonnages d’ouvrages utiles à leur mission dans le diocèse, mais depuis leur départ en 1978 les meubles sont vides et délaissés.

Aujourd’hui, la bibliothèque de la Maison natale est un cadre à l’esthétique particulière et toujours émouvant. Ses boiseries de la fin du XIXe siècle deviennent rares et ne demandent qu’à être remises en valeur et à accueillir une nouvelle collection.

Sigrid Pavèse

 

[1]  L’inscription grecque inscrite au-dessus de la porte d’entrée de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall en Suisse alémanique.
[2] CHOMTON (abbé), Saint Bernard et le château de Fontaines-lès-Dijon, 1891, I. p.11, note relative à un manuscrit de la Vita Secunda.
[3] Mort de Félix Poilblanc, directeur de la Maison natale, 16 juillet 1909, ; mort de Just de Lalaubie, propriétaire de la Maison natale depuis septembre 1908, décédé le 22 octobre 1909 à Leysin en Suisse.
[4] Archives diocésaines de Dijon, 2P 278, Note du conseil paroissial le 3 avril 1910 transmise à Monsieur de Lalaubie. Lettre de Joseph Massin au curé Rémy du 6 mars 1914.
[5] COLLIN (Lazare), Christian de Bretenières (1840-1914), Dijon, 1923, p. 441.
[6] MOYSE Gérard, Lettre du 30 septembre 1998 à l’auteur. Entrée le 1er octobre 1964 en provenance de l’évêché sous la cote J 2579/3.